C'est je pense la première fois que je participe à un forum sur MacMusic si je ne me trompe pas, mais je dois dire que je ne pouvais pas rester sans réagir. Avant de donner mes réactions au message de Clouvel, je tiens à préciser que je suis compositeur d'électro depuis près de dix ans, tout en ayant une certaine indépendance par rapport aux institutions.
QUOTE (clouvel @ Feb 21 2006, 17:57)
- le mileu est devenu pauvre, oui : financièrement, socialement, et musicalement. Il sera même "à la rue" dans quelques années (sauf Ircam-Grm qu'on ne pas pas fermer)...et je pense que le "milieu" l'aura bien mérité. Il m'arrive parfois même de rêver à la fermeture totale car il est parfois vital pour une discipline de repartir à zéro.
Personnellement je ne vois pas pourquoi le "milieu" (ça fait mafieux, tiens) l'aura "bien mérité". Je suis d'accord pour dénoncer un certaine nombre de problèmes qui existent dans le fonctionnement des institutions qui prétendent défendre les musiques électroacoustiques mais je constate surtout qu'il existe beaucoup de compositeurs qui essaient simplement de faire leur travail. Je ne crois pas que le "milieu" soit pauvre musicalement. Mais étant donné la quantité de compositeurs et d'œuvres, il est difficile aux œuvres de qualité de se faire connaître.
D'autre part c'est peut-être justement parce que les institutions savent qu'elles sont moins au centre du monde qu'auparavant qu'elles ne prennent pas positiion par rapport à tel ou tel format. Pour une institution, produire un disque constitue en outre un engagement financier et lancer un DVD-A ou un SACD est un risque.
QUOTE (clouvel @ Feb 21 2006, 17:57)
- il y a certainement des successeurs à Parmegiani, Henry et les autres : mais hélàs j'ai bien peur de ne pas les entendre souvent, et ce ne sont surtout pas les "institutions", qui ont un monopole de fait sur la diffusion, qui les donnent à entendre au public....
En effet il y en a mais ils ont des difficultés à se faire entendre. Cela étant, il ne faut pas oublier que le monde a changé depuis Parmegiani et Henry. Lorsque Pierre Henry a quitté le GRM, il a pu survivre en réalisant des publicités, des jingles et autres musiques d'application. Aujourd'hui il existe des spécialistes dans ces domaines et la concurrence est rude. La concurrence au sein même du monde de la musique électroacoustique est également très grande notamment grâce à la démocratisation des moyens de production, sans parler de la concurrence des autres genres musicaux. D'ailleurs on peut noter que pour le grand public, paler de musique "électro" ce n'est pas du tout parler de musique électroacoustique mais d'un courrant beaucoup plus récent de musique pulsée.
D'autre part il semble en effet que les institutions de diffusion de la musique soient en crise. Mais il y aurait peut-être lieu de réinventer les circuits de diffusion. N'oublions pas pourtant tous les efforts nécessaires. Créer et faire tourner un orchestre de haut-parleurs n'est pas une mince affaire. Pour en avoir monté et démonté quelques-uns je peux vous dire que c'est un fameux handicap par rapport à la musique instrumentale. C'est un investissement de l'ordre de 25.000 euros.
QUOTE (clouvel @ Feb 21 2006, 17:57)
Mais..y a t-il un réel intérêt à ce qu'il y ait des successeurs ? faut-il du conservatisme, de la "tradition" dans un genre par essence expérimental..non et définitivement non...il n'y a pas de certitudes à avoir en musique EA : une "bonne musique" n'est pas forcément une musique faite par un digne héritier de Schaeffer (qui aurait certainement apporté plus en étant au minimum un peu musicien et beaucoup moins technicien)..
Il ne faut pas confondre genre et tradition. Il semble évident qu'il existe un genre de musique électroacoustique qui a une place dans le paysage musical et qui se définit plus ou moins implicitement via quelques critères esthétiques :pas de mesure ni de pulsation, structuration non plus seulement sur base du rythme, de l'harmonie ou de la mélodie mais sur base de champs plus nombreuses (décrits par Schaeffer dans le Traité ds Objets Musicaux ou par d'autres tels que François Bayle, Denis Smalley ou Stéphane Roy).
Au-delà de cela, qui définit donc un genre assez vaste, incluant lui-même différentes écoles, il existe une tradition qui a parfois tendance à ronronner et à faire preuve d'intolérance. Celle-là est en effet criticable.
QUOTE (clouvel @ Feb 21 2006, 17:57)
Peut-être faudrait-il surtout en désacraliser quelques uns..."Mr.X" n'est pas "dieu" et je connais dans mon entourage électroacoustique très proche des gens qui n'ont aucune envie d'entendre des successeurs de "Mr. X"...car ca fait vingt ans qu'ils "bouffent" du "Mr.X" et n'ont jamais, jamais aimé...
Personne n'est propriétaire d'un genre musical et personne ne détient le "sacro saint savoir" dans un genre expérimental, et surtout pas ceux qui le représentent si mal depuis trente ans avec les résultats que l'on sait. Ce n'est pas parce qu'on a été le premier à faire quelque chose qu'on le fait forcément bien.
Dans le même temps, il faut reconnaître qu'il faut parfois remettre l'église au milieu du village car sous l'étiquette électro on trouve tout ou n'importe quoi. En ce qui me concerne, je suis attaché à des dénominations telles que "musique concrète" ou "musique acousmatique", plus précises, même si je sais que certains associent ces genres à des "M. X" ou "M. Y" (ce qui n'est pas mon cas car pour moi ces dénominations font sens. Je sais qu'ils y a des gens qui y sont allergiques mais elles font plus sens que "électro", car "électro" se définit plus par les moyens employés que par des critères esthétiques. Et en ce qui concerne les moyens, ils sont même utilisés en folk, alors cela ne veut plus rien dire). La grande crainte des compositeurs de musique électroacoustique est que leur spécificité ne soit plus identifiée par le public et les institutions subventionnantes. Je pense personnellement que c'est la qualité des compositions qui devrait permettre la reconnaissance du genre mais comme je l'ai écrit plus haut la multitude des courants musicaux rend cette reconnaissance très difficile. D'autre part, les musiques composées sur la durée sont noyées dans la masse des musiques faites à la va-vite (et dont la plus grande part est constituée de musiques non spécifiquement électroacoustiques).
QUOTE (clouvel @ Feb 21 2006, 17:57)
Je suis le premier à penser que le "niveau technique" des électroacousticiens est très sur-évalué. il a été de très haut niveau à un moment de l'histoire de l'EA (au début). Il ne l'est plus depuis longtemps, par manque de moyens, par confort personnel de certains (pas facile de se mettre à jour en permanence et de mettre à jour ses compétences) et par académisme ambiant (si Max et CSound venaient à disparaitre, le cursus théorique des principales classes d'EA serait réduit à néant...).
J'ai deux choses à dire à ce propos :
1) Je ne crois pas à de telles généralités, elles ne s'appliquent pas à tous les compositeurs. En ce qui me concerne je pense ête à jour techniquement mais il est vrai que cela demande du temps et de l'énergie. Pendant qu'on fait cela on ne compose pas. Il vaut mieux parfois passer du temps à composer une musique de qualité
musicale et accepter quelques compromis sur la qualité
technique, même si ce n'est pas souhaitable a priori. J'espère assister un jour à une stabilisation dans l'évolution des outils, qui est trop rapide pour l'instant si on veut se tenir à jour, même si en ce moment la difficulté est surtout du côté des supports de diffusion, où l'on aimerait bien qu'un support se dégage. Mais peut-être est-ce un vœu pieu alors que tout le monde télécharge du MP3 et que seule une minorité d'auditeurs est dans les conditions nécessaires (enceintes, acoustique...) pour jouir des améliorations apportées par les "hauts débits" (pour la production c'est autre chose). Je voudrais en profiter pour tordre le cou à cette rumeur qui affirme que le MP3 "détruit l'audition".Un MP3 encodé avec un bon logiciel et avec un débit important est impossible à distinguer d'un morceau non compressé, même par un auditeur attentif. Evidemment à 20 kb/s c'est autre chose...
2) Je ne vois pas très bien en quoi Csound et Max/MSP relèvent de "l'académisme ambiant". Si cela pose problèlme à certains que ces outils soient largement utilisés dans la communauté des compositeurs de musique électroacoustique, je ne comprendc pas bien pourquoi. En ce qui me concerne, j'utilise très souvent Max/MSP avec grande satisfaction. Utiliser cet outil m'a permis de faire beaucoup de choses qui auraient autrement nécessité l'acquisition de multiples plug-ins coûteux, que justement seules des institutions ou des studios commerciaux peuvent s'offrir. Donc pour moi un tel logiciel est au contraire un moyen de démocratisation. Cela étant, peut-être que votre critique s'adresse au fait que Max/MSP ou Csound constituent parfois des alibis pour faire n'importe quoi, ce avec quoi je suis complètement d'accord. Mais il faut être naïf pour croire le contraire. Un Stradivarius dans les mains d'un enfant de deux ans ce n'est est pas un Stradivarius dans les mains d'Irvine Arditti. Il a fallu toute une vie de travail au musicien pour que l'instrument rende tout son potentiel.
QUOTE (clouvel @ Feb 21 2006, 17:57)
Donc je soutiens toute initiative qui consiste à mettre le doigt sur l'immense faiblesse de niveau technique, de moyens de réalisation, de misère musicale des "oeuvres" "composées" etc etc
Mais il me semblerait insupportable que face à cette initiative, la réponse puisse être : la musique EA ne se résume pas a la qualité technique, au confort d'écoute, on fait une "oeuvre et pas un produit grand public", et si le "résultat" ne trouve pas auditeur, c'est que l'auditeur est un ignare.
La musique EA, contrairement à ce que pensent certains, n'est pas une activité de recherche pure, encore moins un travail d'universitaire, c'est tout simplement de la musique. Et il serait sans doute grand temps que "certains" prennent au moins la peine d'écouter ce qu'ils "composent" avant d'oser le présenter au public.
Le surround, le 5.1, le 12.1 ou le 124.12 ne changeront rien à la donne : il y a des moments où je rêve que certaines musiques soient moins "spatiales", qu'elles soient juste monophoiques, qu'elles soient toutes petites, petites, qu'elles n'existent pas..Mais elles sont diffusées car elles sont faites par des gens "biens"...
Quand on laissera quelques compositeurs "plus jeunes " (ou en tout cas moins ceux du quasi "quatrième âge") prendre en main cette discipline, qu'on cessera la gestion soviétique actuelle mais qu'il y aura aussi d'autres moyens (privés, commerciaux, ventes de disques etc), quand on se mettra à considérer comme un art à part entière les musiques dites d'applications (dance, théatre, etc), quand on sera moins poussiéreux (haaa médailles, concours, diplômes) et surtout moins académiques (non il n'y a PAS de honte à composer une musique mixte, non ce n'est pas blasphématoire de dire : "le traité des objets musicaux, c'est chiant")...
Ouch! C'est ce qui s'appelle une volée de bois vert! Difficile de réagir à toutes les critiques inclues dans ces paragraphes. En ce qui concenre les diplômes, je suis pour dans la mesure où ils correspondent à un savoir qui peut être évalué objectivement. Une des critiques présentes dans cette discussion est le manque de compétences techniques des composieurs. Fort bien, mais alors il faut accepter qu'ils y ait des lieux de formation adéquats. En ce qui concerne la partie "artistique" des diplômes, elle est plutôt liée à la personnalité du professeur de composition en titre et aux jurys d'évaluation, ce qui ibclut forcément une part subjective (mais le recorus aux jurys peut réduire cette subjectivité).
Pour de qui est des concours, j'avoue que je ne sais pas trop quoi en penser. Le côté positif est qu'ils permettent l'émergence de talents, talents qui se confirment par la suite ou non. Le côté négatif est qu'ils donnent lieu à un tri parmi des centaines d'œuvres, tri qui n'est pas toujours facile à effectuer ou à décoder. Bien sûr on peut se plaindre de la sélectivité mais il me paraît difficile de critiquer à la fois la sélectivité et la prétendue médiocrité de la production actuelle. Il faut bien des critères de sélection. La question est lesquels? Le copinage joue quelquefois, ne nous leurrons pas. Mais surtout le problèlme vient de ce que les organisateurs de concerts et de concours sont souvent eux-mêmes des compositeurs. On peut critiquer cette situation mais il faut noter qu'elle est survenue parce que si les compositeurs n'avaient pas pris cela en charge les institutions existantes ne l'auraient pas fait (surtout pour ce qui concerne les concerts). Combien de festivals musicaux qui ne sont pas dédiés à la musique électroacoustique en programment? Il y a un ostracisme réel.
On peut aussi préférer d'autres manières de diffuser la musique électro que les concours. Ainsi, Internet me semble être un outil qui pourrait permettre aux compositeurs de court-circuiter les circuits institutionnels via la diffusion en webcast, podcast ou depuis des sites personnels. Mais il reste la question : comment se faire connaître? Et puis les sociéts de droit d'auteur jouent plutôt le jeu des majors que celle des artistes...
Par ailleurs, attendre du privé qu'il offre un soutien à la création, cela relève du rêve. Même les compositeurs contemporains les plus connus ne survivent que grâce à des aides étatiques. Il existe cependant des labels privés qui font leur travail et produisent des disques.
Mais effectivement la composition n'est ni un travail universitaire ni un travail scientifique, c'est un art et il n'existe que s'il rencontre son public et si les compositeurs font un travail de qualité. En ce qui me concerne, je travaille plusieurs mois sur une composition.
Si les institutions sont aussi critiquées (et criticables) c'est peut-être aussi parce qu'on en attend un peu trop. La légitimité des institutions telles que le GRM ou l'IRCAM est réelle pour certaines missions, moins réelle pour d'autres. Certes certaines institutions sont nées d'une volonté politique et on imagine mal l'IRCAM fondé par un groupe de copains passionnés! D'ailleurs à moins d'avoir des politiques plus éclairés etu un monde musical plus lisible, on imagine mal la création d'une institution telle que l'IRCAM aujourd'hui. Mais il ne faut pas oublier les autres institutions, celles qui sont moins visibles, mais qui se battent au quotidien, avec des moyens nettemnt inférieurs. Je citerai par exemple MOTUS ou le GMVL.
A mon sens, ce qui manque créellement c'est d'une part une critique et d'autre part un public. En effet, pour la plupart des genres musicaux bien identifiés, il existe une presse (écrite, radio, télé) indépendante des créateurs qui connaît la musique, l'écoute et la juge. Cela permet au public de faire son choix, de découvrir des musiques intéressantes, et aux créateurs de se faire connaître. Il me semble que cette critique est manquante pour l'électro. Il existe certes des fritiques par ci par là, mais elles sont insuffisantes. Je pense personnellement mettre sur pied un site Web dédié à cette question, où le public serait invité à donner son avis sur les musiques et sur les concerts.
D'autre part, en ce qui concerne la question du public, c'est un peu celle de l'œuf et de la poule. On sait bien que le public demande d'abord ce qu'il connaît ou peut identifier correctement. Or, l'éducation musicale est encore préhistorique, restreignant la musique à
do ré mi fa sol. C'est un peu comme si dans l'enseignement fondamental on apprenait aux enfants à reconnaître les formes mais pas les couleurs. On peut trouver le Traité des Objets Musicaux "chiant" mais ceux qui l'ont lu savent ce qu'ils lui doivent (même s'il y a des point à critiquer, et qui l'ont été d'ailleurs). Et ce qu'on peut lui devoir c'est de nous avoir donné un langage pour parler du son "en général" et non pas au travers du prisme d'une école esthétique ou d'une époque spécifique. D'ailleurs, Schaeffer parlait de "musique la plus générale qui soit". Certes les compositeurs d'électro ce sont emparés de cet outil, mais il est applicable à la description de multiples contenus sonores et musicaux, notamment de musiques postérieures au 19e siècle ou non-européennes. Bref, je crois qu'il y a un problème d'enseignement et si j'ai un reproche à faire aux institutions c'est celui-ci: ne pas avoir soutenu des programmes destinés aux tout-petits, c'est-à-dire aux auditeurs de demain. Il existe des classes instrumentales pour les tout-petits, pourquoi cela n'existe-t-il pas en électro? Certaines institutions ont créé des outils destinés aux enfants, par exemple le GMEB/IMEB a développé le Gmebogosse qui familiarise les enfants avec les outils de création. Mais je crois que c'est avant d'outils de lecture dont le public a besoin: comment s'écoute cette musique? A ce titre les concerts commentés ou les rencontres avec compositeurs avant concerts sont de bons outils mais ils sont insuffisants.
Amundsen